Problème : aucun des deux n'a son permis moto, et c'est là que je rentre en jeu. Ma mission, si je l'accepte : trois jours de balades avec sa femme comme passagère. Lui nous suivrait en voiture.
Bien qu'un peu hésitant, les Harleys n'étant pas franchement mon style de bécane préféré, j'ai dit banco. C'est des amis, et ça permettra de tester un peu ces trucs. Et puis la Night Rod est quand même super classe...
Le lieu était tout trouvé : la famille de mon amie étant originaire du Morvan, c'était parfait. La famille, les collègues et le chef étant dans la combine, il ne manquait plus qu'un petit peu de renfort, ne serait-ce qu'en cas de coup de mou ou de soucis de ma part pendant le week-end : deux couples d'amis motards sont mis dans la confidence et participent également au week-end, et c'est parti pour trois jours et plus de 900 kms.
Première étape, le vendredi soir : aller récupérer la moto chez le loueur, dans Paris intra-muros. Je déteste rouler dans Paris et c'est complètement bouché, donc ça va être un premier contact rude.
Prise de contact :
C'est grand. C'est bas. C'est large. C'est lourd (300 kgs).
Le guidon tombe bien sous les mains, les poignets ne sont pas dans une position désagréable. On est loin des ape bars.
Les commandes sont minimalistes : pas d'appel de phare, pas de warning. Les clignos sont séparés sur les deux comodos (cligno droit à droite, cligno gauche à gauche) et se retirent automatiquement après un virage, comme sur les voitures - c'est quelque chose d'extrêmement perturbant.
Le Neiman est sur le côté de la colonne de direction, le contacteur plus bas devant le genoux. Trois positions pour le contacteur (on en bas, off au milieu, atelier en haut). Neiman et contacteurs sont "blocables" mécaniquement par une clé ressemblant à celles des antivol pour matériel informatique, mais laissés en position débloqué, pas besoin d'insérer une clé pour démarrer : il suffit de garder dans la poche une sorte de bipper, qui par simple proximité désarme l'alarme et permet le démarrage.
Autre chose déroutante : le (petit, ~15 litres dont 3 de réserve, soit entre 200 et 230 kms d'autonomie réserve inclue) réservoir se trouve sous la selle. Ni la selle ni le réservoir ne sont d'ailleurs verrouillés, ce qui est également surprenant.
Pour le reste, oubliez tout aspect pratique, il n'y en a AUCUN. Pas le moindre espace de rangement ou de stockage, même pas moyen de ranger ses papiers quelque part. Mais au moins, la selle pilote est très large, moelleuse et accueillante.
Au niveau compteur, le tachy très lisible est encadré d'un tout petit compte-tour qui l'est beaucoup moins et d'une jauge pas prise en faute au cours du week-end. Un écran à cristaux liquide tout simple donnera sur une seule ligne le kilométrage total, deux trips partiels, une estimation d'autonomie restante (réserve inclue) et une horloge - la navigation se fait via un simple bouton poussoir caché sous le compteur. A 20k€ le bout, ça fait un peu léger quand même.
Le moteur s'ébroue très rapidement au coup de démarreur, pour laisser sortir un feulement surprenant rappelant plus un 6 à plat qu'un V-Twin - seul un léger "plop-plop" est discernable. Le bruit du bi se fait plus caractéristique en montant dans les tours en charge, mais ce feulement sera toujours présent. Le niveau sonore est également bien plus faible que ce que je craignais, et est très largement supportable - mon XJR doit faire légèrement plus de bruit, et le Ninja 900 avec pot Yosh' d'un des copains nous couvrait largement.
Urbain :
Allez, un peu de contexte. Paris intra-muros, vendredi 18h. Pour rajouter du fun, une veille de grand week-end, et en juin avec les travaux d'été qui commencent à fleurir un peu partout. La météo est au beau, mais très chaud et très lourd.
Je l'ai déjà dit, mais je le répète : la Night Rod n'est ni légère, ni petite, ni agile (pneu arrière de 240, roue avant en 19"). De plus, la position (cul posé dans un Pullman mais pieds et mains loin en avant, buste penché vers l'avant - imaginez un peu faire une lettre "C" avec votre corps) empêche un contrôle fin et de conserver l'équilibre à faible vitesse.
Ha, et les premières heures, vous passerez votre temps à chercher les cale-pieds et le sélecteur à chaque démarrage, tellement leur position semble peu naturelle quand on est habitué aux motos "classiques".
Les freins avant sont très (trop) efficaces : double-disques et gros étriers Brembo. Par contre, le dosage est très très dur et ils sont très peu progressifs : il faut vraiment juste lécher le levier pour ralentir, si on le prend à peine peu plus fermement le freinage se fait très, très violent.
Je ne me prononcerais pas sur le frein arrière, l'ayant à peine utilisé du week-end : la position de la pédale rend son utilisation très peu instinctive et pratique, et le frein-moteur le rend la plupart du temps inutile.
Dernier point : la chaleur. Les genoux sont juste à niveau du cylindre arrière, et les deux tubulures d'échappement passent le long de la jambe droite. Vous allez cuire. Le ventilateur du radiateur (non, ce n'est pas un bloc air-huile) se met en route très, très régulièrement et viens souffler toute la chaleur en plein dans les jambes. C'est simple, même ce matin en allant la ramener sous la flotte, je devait écarter autant que possible la jambe droite pour ne pas cramer.
Le lendemain matin, c'est parti pour l'étape suivante : les grandes routes.
Grandes routes :
Sur l'autoroute et les grosses départementales relativement droites, ou avec seulement des grandes courbes, on est clairement dans le terrain de jeu de cette bête. La stabilité est exemplaire, le moteur est à la fois doux, progressif et d'une grande allonge tout en étant un gros dragster, la position n'est pas désagréable sauf à aller taper dans des vitesses d'autobahn, le micro-saute-vent qui semble n'être là que pour la déco fait en fait pas mal du tout son taf.
Une astuce : vous aurez remarqués que les cale-pieds ne sont pas des gros repose-pieds "à la custom", mais de simple cale-pieds standards. Comme ils sont bien en avant, les jambes sont toujours un petit peu en tension pour que les pieds n'en glissent pas. Sur ce genre de grandes routes droites ou aux courbes larges ne nécessitant pas d'opération sur le sélecteur, il suffit d'allonger un peu plus la jambe et d'y poser les chevilles (les pédales offrent suffisamment d'espacement pour ce faire), la stabilité de la partie cycle suffisant largement.
Pour les passagères, tout dépendra de la taille de leurs fesses. En effet, la selle passager est vraiment, VRAIMENT toute petite, et la lanière de maintien complètement inutile car impossible à saisir. Heureusement, celle-ci était équipée d'un porte-paquet (oui, c'est une option) qui permet de se tenir. Je doit récupérer quelques photos avec passager(e), histoire d'illustrer ce point...
Mais nous arrivons dans le Morvan, et il est donc l'heure de passer à la dernière partie : les petites routes !
Petites routes :
Là, les choses se corsent.
Déjà, les amortisseurs sont plutôt franchement souples, et leur débattement réduit. Ca veut dire que sur une route un peu mauvaise, c'est très vite le cadre et vos fesses qui vont devoir se charger d'amortir les chocs. Sur une route franchement mauvaise, ça s'apparente à de la torture. Bouches d’égouts pas à niveau, pavés et autre nids de poule ou verrues sur la route vont devenir vos ennemis mortels.
Ensuite, la stabilité de la moto et la position du pilote nécessite une anticipation et un engagement physique conséquent (puisqu'au lieu d'utiliser les genoux et les pieds, il faut utiliser le bassin, les épaules et les bras) pour l'inscrire en courbe. Ca veut aussi dire qu'il est interdit de rentrer de manière trop généreuse dans un virage, la correction de trajectoire étant franchement compliquée.
Le pneu de 240 et la longueur de l'empattement rendent bien évidemment les virages serrés et autre épingles des plaisirs tout relatifs qu'on essaiera de garder relativement rares.
Le freinage en entrée de courbe se fait en léchant délicatement le levier de frein et en tombant une vitesse, l'embrayage anti-dribble empêchant toute surprise au niveau de la roue arrière lors du rétrogradage. Des freinages plus "sportifs" sont certainement jouables, mais la prise en est tellement brutale que je n'ai pas osé essayer de peur de perdre mes passagères.
En sortie de courbe, il est possible d'essorer l'accélérateur comme un goret, le pneu de 240 transmettant sans soucis tout à la route même sur l'angle. L'accélération est très rapide mais douce, bien plus proche de l'élastique que du coup de pied au cul. Le moteur reprend sans soucis à 2000 rpm, même si en 4è ou 5è il va faire comprendre qu'il préférerait être un peu plus haut dans les tours.
Bien sûr, sur route sale (graviers etc), il faut se restreindre sur l'accélération, mais même en étant un peu trop généreux, je n'ai eu que de petites glisses toutes douces de l'arrière.
Sur route propre, non-piégeuse et connue, comme quelques unes faites au rasso 2013, il est même possible de sacrément attaquer le bord des pneus, et ce Night Rod est loin d'être ridicule, m'ayant même permis de faire l'exter' à une paire de motards surpris.
En résumé, c'est une moto qui rend les lignes droites moins chiantes, qui kiffe les grandes courbes (type D951/D978) et permet d'y prendre son pied sans devoir atteindre des vitesses stratosphériques, et qui n'est pas ridicule sur des routes un peu plus techniques (type D18/D37), mais qui déteste les petites routes tournicotantes ou au bitume abîmé, qui demande une passagère fan ou pleine d'abnégation, et un autre véhicule pour trimbaler les bagages.
La partie cycle est moins pire que ce que je craignais, le confort pas mauvais même si la position est fatigante et usante à la longue (mais la faible autonomie nécessite des pauses fréquentes...). La grosse déception viens du moteur : OK, il est bourré de couple, OK il est souple, mais justement. Vu le look et la réputation d'Harley, je m'attendait à un monstre, à un truc râpeux, capricieux et ne demandant qu'à te catapulter à la première inattention, sans allonge et remuant. Embrayage anti-dribble oblige, même les rétrogradages velus ne font pas hausser le sourcil...
Le concess' avait l'air de dire que c'était dû au bridage, et qu'en version full + petite prépa ça envoyait autrement du steak... A voir à l'occase éventuellement, mais pour l'instant pas convaincu.
Bref, à la fois rassuré et déçu, une moto attachante et au look ravageur mais quelque peu trahi par son moteur (bon, mais pas assez "too much"), et au prix qui m'étrangle toujours autant...
change pas ton avatar raclure !
R.I.P. J&B et Tom 
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