Pour les non-initiés, Joe "Hoser" Satrapa est une légende de l'US Navy. Il appartient à cette race un peu étrange de vrais chasseurs, mélange particulier d'incroyables talents de pilotage, caractère ultratrempé, mentalité borderline, forte inclinaison pour les armes et pour les bonnes chouilles entre potes, confiance absolue en ses capacités, agressif. Pour lui, hors de la communauté des chasseurs, point de salut, l'humanité se résumant aux pilotes de chasse d'un côté et une foule sans talent et sans intérêt de l'autre.
Pilote de F-8 au Vietnam, il était connu pour trainer 20 kg d'armements divers chaque fois qu'il partait en mission, au cas où il soit forcé de se battre au sol en territoire ennemi. Ou pour pêcher...
Lorsqu'il était instructeur sur F-14, il est réputé pour ses harangues à la Patton. Il entrait dans la salle coiffé d'un casque chromé, cravache sous le bras et mettait les élèves à l'aise : «*toi, le mec avec des bras comme des cure-dents, va falloir soulever de la fonte parce que sur F-14, pour chaque G supplémentaire, c'est 15 kg de plus à appliquer sur le manche pour virer !*». Il avait quelques phrases bien senties comme "les missiles c'est pour les fillettes", "le seul bon kill est un gunkill", "il faut s'approcher et viser le canopy, car si tu ne tues pas le pilote, il reviendra pour te tuer, toi" et encore, "si ton ennemi se balance au bout de son parachute, farcit-le de plomb". Bref, une énorme grande gueule, un caractère de blaireau enragé (imaginez) et des compétences hors-normes qui ont même amené un amiral à le sortir de sa retraite pour reprendre du service comme instructeur "combat" sur F-14. Au total, Hoser dépasse allègrement les 6000 h de vol dont plus de 4000 sur F-14. Il a volé sur F-8, F-14, A-4 comme agresseur, A-5, C-121 (hé oui, il a été puni aussi), F-18, etc. Il a été instructeur à Top Gun, évaluateur à la VX-4, instructeur ACM dans les RAG F-14. Et pour occuper sa retraite, il combat les feux de forêts à bord d'un S-2 transformé.

D'abord, l'un des histoires les plus légendaires.
Hoser, à bord d'un F-14, doit affronter un F-5 Agressor lors d'un 1V1 classique. Alors qu'ils sont côte-à-côte au seuil de piste, Hoser se tourne vers son opposant et mime, les deux mains posées sur la palette du tableau de bord de son F-14, le tressautement de deux mitrailleuses de la première guerre mondiale. Ok, répond l'agresseur d'un signe de tête, combat canon ce sera, sans missile, au couteau dans un ascenseur.
Après la montée au niveau prévu, les deux avions se séparent pour une rencontre face-à-face. Sous guidage radar, leur séparation atteint 20 nautiques, puis c'est le reverse, head-on, 1000 kt (~1800km/h) de vitesse de rapprochement. La distance se réduit rapidement, l'agresseur prêt pour un engagement à l'ancienne. A sept nautiques de séparation, Hoser annonce "Fox One". Kill imparable. L'agresseur est fou de rage et le fait savoir lors du croisement : «*Bordel, à quoi tu joues ?*», hurle-t-il alors que les avions se frôlent. "Ah mince, désolé, j'étais distrait. On reprend, guns only hein !", répond Hoser.
Donc, séparation sous guidage radar jusqu'à 20 nautiques, reverse... et "Fox one" de Hoser à 7 nautiques. L'agresseur est hystérique, il a la bave aux lèvres, mais trop tard, c'est le bingo fuel, le F-5 étant réputé pour ses courtes pattes et sa durée d'engagement faible. De son côté, Hoser avait déjà rejoint le plancher de combat et filait sur Nellis dare-dare.
Alors que Hoser est déjà au mess en train de biberonner une bière, l'agresseur entre furieux et, apercevant son adversaire du jour tranquillement accoudé au bar, l'air de rien, hurle "et que fais-tu de ta crédibilité, hein ?". Calmement, Hoser tend une main avec le pouce pointé vers le bas, à la romaine, et annonce : "credibility is down". Levant le pouce : "kill ratio is up".
Et il termine sa bière.
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Hoser, alors capitaine de corvette et instructeur à Oceana à la VF-101, est programmé avec un étudiant dans un autre F-14, pour un 2V2 contre des F-15 de Langley. Problème : sur le tarmac, son ailier connait des problèmes mécaniques et doit annuler son vol. Qu'à cela ne tienne, Hoser décolle quand même pour ce qui devient un 1V2... sauf que les F-15 ne le savent pas. Pendant tout le domestic jusqu'au lieu du combat, Hoser discute à la fréquence avec son nav, écoutée aussi par les F-15, pour faire croire à une patrouille de deux avions. Il échange ainsi, avec le type assis trois mètres derrière lui, des séparations, des états de carburant, des changements de cap et de formation... Il s'annonce même comme un «*flight*» de deux avions au contrôleur de la zone.
Le combat commence. Au merge, les deux F-15 repèrent un F-14 (étonnant, hein ?) et se mettent à la recherche de l'autre, la tête montée sur pivot. Entretemps, Hoser a fait sa petite cuisine, amenant tout le monde en basse vitesse, pile-poil dans le domaine de compétences du F-14. Il tourne alors dans un mouchoir de poche, les ailes à flèche minimale, à forte incidence et épuise les F-15 et leurs grandes ailes. Il aligne deux kills sans trop transpirer. C'est le moment que les pilotes des deux F-15, un colonel et un lieutenant-colonel, choisissent pour réaliser la supercherie, eux qui avaient mené leur affaire pour se défendre d'un second Tomcat. Très en colère, ils réclament une revanche, sauf que cette fois, le 1V2 est clairement établi et que les deux larrons ont une furieuse envie de bouffer du F-14. Hoser hausse les épaules, recommence sa cuisine et descend ses deux opposants.
De retour à leur base, les deux pilotes d'Eagles, un brin hallucinés par la branlée majestueuse qu'ils venaient de prendre, appellent la VF-101 pour connaître le nom du type qui "fait ces trucs incroyables". Le commandant de la flottille, interloqué, réclame des détails. On lui donne l'heure du combat et l'indicatif du Tomcat. Le skipper jette un œil sur le tableau de service, hausse un sourcil en lisant le nom de Hoser et redirige ses interlocuteurs sur le téléphone personnel de Hoser, non sans l'avoir auparavant prévenu. Hoser prend la ligne avec le pilote de F-15 en gueulant, dans un style réglementaire, "sous-lieutenant Satrapa, à vos ordres mon colonel ! Merci mon colonel !". Imaginez la tête du colonel qui croit s'être fait farcir de plomb par un stagiaire...
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Alors qu'il était à la flottille de test VX-4, Hoser faisait partie de l'équipe chargée de tester la capacité de tir frontale de l'AIM-9L. Cette version était capable, selon Raytheon, de trouver une cible par le quart avant sans avoir à manœuvrer. Le pilote n'avait qu'à obtenir la tonalité, ce fameux bourdonnement grave du Sidewinder qui a flairé une source de chaleur, et lâcher sa bûche sans chercher à se placer sur l'arrière de l'adversaire. Les essais montraient effectivement une bonne sensibilité du winder... sauf que, quand Hoser servait de cible, le 9L ne parvenait pas à accrocher. Jamais.
A Point Mugu, certains flairaient le vice. Plus Hoser servait de cible, plus le kill-ratio du missile chutait.
On interrogea donc Hoser sur sa technique, lequel ne demandait que ça. "Ok. D'abord, il te faut un maximum de badin, mais alors, un truc bien joufflu, hein. Ensuite, à 10 nautiques, tu coupes tout. Quand je dis que tu coupes, te ne les mets pas au ralenti hein, tu ARRETES les moteurs, tu tournes cette putain de clé, point barre ! A deux nautiques, tu rallumes les bouzins, t'as encore 400 kts au merge et tu peux manœuvrer sur le plan vertical."
Jamais la Navy n'a voulu mettre cette technique dans ses manuels...
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A son arrivée au RAG (Replacement Air Group) de Miramar sur F-14 (biréacteurs) (VF-124), Hoser a, un soir, effectué un vol de nuit. Après s'être éloigné de la côte, il revint longer le littoral en supersonique à basse altitude et réveilla toute la Californie, semant son bag de San Diego jusqu'à Los Angeles. Détail important : il accomplit son forfait avec un seul moteur en post-combustion. Puis il revint se poser.
La matin suivant, les gradés faisaient la chasse au foutu pilote de F-8 (monorécateur) qui avait pété toute les vitres de l'État...
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Fin 1968, NAS El Centro, exercice de tir canon pour un patrouille de quatre F-8 Crusader. Le niveau de tir était à 15000 ft avec un point haut à 20000. C'est le 6e run du vol, Hoser dirige l'assaut. Alors que la patrouille rejoint son point haut pour la sixième fois, le n°3 de la patrouille, Larry Morris, annonce une extinction moteur. Break et tentative de rallumage par RAT dans la descente, sans succès. Éjection normale à 8000 ft. Hoser suit le F-8 sans pilote dans sa descente et constate, avec étonnement, qu'il ne produit qu'un gros nuage de poussière en s'écrasant. Pas de feu, pas d'explosion, juste de la poussière.
Morris, arrivé sain et sauf au sol, avoue que dans le feu de l'action, il a un peu perdu de vue sa jauge de carburant et que, oups, il se pourrait que le flame-out soit la conséquence d'une panne de carburant. Il est aussitôt affublé du surnom « fumes » (vapeurs) par ses collègues, convaincus qu'il avait fait la dernière montée avec des vapeurs de kéro dans les réservoirs.
Quatorze ans plus tard, Larry «*Fumes*» Morris rejoint le RAG F-14 de la côte Est, la VF-101. Il est présenté, à l'assemblée générale des pilotes du lundi matin, comme le CDR Larry « Magic » Morris. En 14 ans, il était donc parvenu à faire oublier les histoires de vapeur. C'est alors que, du fond de la salle d'ops, on entend quelqu'un dont la voix ressemblait à celle d'Hoser dire, « vous voulez dire par là que c'est magique de voler aux vapeurs de kéro avec un Crouze (F-8)? ».
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Entre 74 et 78, l'USAF et l'USN ont organisé une compétition entre F-14 et F-15 à Nellis, appelée ACEVAL/AIMEVAL. L'objectif était d'évaluer les capacités air-air de ces avions contre les F-5 de Nellis. Ordre avait été donnée aux pilotes de l'Air Force de ne jamais se confronter directement, en combat, aux F-14.
Autant dire que cela laissait Hoser parfaitement insatisfait, d'autant que l'ambiance s'était progressivement détériorée entre pils de Tomcats et d'Eagles au cours de la campagne. Chacun rêvait d'en découdre, à tel point que vers la fin de la compétition, Hoser réussit à arranger un combat en douce avec des monits du 415th.
Le vol consistait en un 2V2, canon uniquement, pas de fox one, ni de fox two. Arrivés sur zone, les deux marins initient un large crochet avec un split à 10000 ft, un avion haut et un avion bas, et une accroche radar à 25 nautiques. Le combat dérive immédiatement en deux 1V1, provoqué par le split précédent, un F-14 combattant haut et Hoser entraînant son opposant en BA à faible vitesse. Hoser annonce un gunkill à une distance de 250 ft tandis que son ailier réalise le même travail un poil plus haut.
De retour à la base, sentant le coup fourré des photographes de Nellis, les deux compères envoient les cassettes des guncams à Grumman. Le lendemain, un général de l'Air Force furibard débarque dans les locaux provisoires de la VX-4 et réclame les films sur le champ. En fait, ce combat avait fait son petit effet car les Japonais, sur le point d'acheter des F-15, avaient eu vent du fiasco de l'Air Force et réclamaient une évaluation du F-14. Au Pentagone, certains voulaient la tête des deux marins impliqués. L'affaire se termine sans trop de sang, tout le monde faisant profil bas et les cassettes repartant entre les mains du général. Le Japon achète des F-15 et l'affaire n'a donc jamais eu lieu.
Sauf que Hoser avait des copies... Desquelles il a tiré un cadre qu'il a installé chez lui...

Bon si ça vous plait vous en aurez droit à d'autres... Encore plus farfelues !
